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10/07/2023 (Modifié le 10 juil. 2023 à 17:56:50)

Indemnités de licenciement : quelle taxation ?

 

Compte tenu de l’enjeu fiscal des indemnités de licenciement au regard de l’impôt sur le revenu, le juge doit confronter l’indemnité transactionnelle à l’épreuve des faits qui ressortent de l’instruction pour en trouver la juste qualification. Une salariée invoquait un licenciement sans cause réelle et sérieuse pour justifier la non-déclaration de l’indemnité à l’impôt sur le revenu et contester le redressement fiscal de ces sommes.

Quel est le traitement fiscal des indemnités de licenciement ? Il est complexe, puisqu’il dépend de plusieurs facteurs, comme l’existence d’un plan de sauvegarde pour l’emploi, ou de la qualification des sommes qui font l’objet de la transaction. Un arrêt récent en donne une illustration au sujet d’une indemnité transactionnelle perçue par un salarié licencié pour son mauvais management (CAA Paris, 7e ch., 14 févr. 2023, no 21PA03377).

En présence d’un plan de sauvegarde pour l’emploi

Lorsque le licenciement – ou le départ volontaire ayant donné lieu au versement des indemnités – intervient dans le cadre d’un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE), les indemnités versées sont exonérées sans limite de montant. L’exonération concerne les indemnités stricto sensumais aussi les primes d’aide au départ volontaire, les primes d’aide à la réinsertion professionnelle, les primes d’aide à la création d’entreprise, etc. En revanche, elle ne concerne pas les indemnités de mise à la retraite.

En l’absence d’un plan de sauvegarde pour l’emploi

En l’absence d’un plan de sauvegarde pour l’emploi, « toute indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable »,selon l’article 80 duodeciesdu Code général des impôts (CGI). Après avoir affirmé cette taxation de principe, l’article énumère les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail qui bénéficient, en raison de leur nature, d’une exonération totale ou partielle d’impôt sur le revenu.

Ainsi la fraction des indemnités de licenciement versées en l’absence de PSE est exonérée d’impôt sur le revenu à hauteur du montant le plus élevé des trois montants suivants :

· l’indemnité de licenciement prévue par la convention collective de branche, par l’accord collectif ou par la loi, et ce, sans limite ;

· 50 % de l’indemnité de licenciement perçue ;

· deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l’année précédant la rupture du contrat de travail.

Dans ces deux derniers cas, l’exonération ne peut dépasser la limite de six fois le plafond annuel de la Sécurité sociale en vigueur à la date du versement des indemnités (soit 263 952 euros en 2023), mentionné à l’article L. 241-3 du Code de la sécurité sociale.

Les autres cas d’exonérations totales

Par ailleurs, plusieurs types d’indemnités de licenciement sont pleinement exonérés d’impôt sur le revenu. C’est le cas des indemnités accordées par le juge du travail (ou accordées dans le cadre d’une transaction ou d’un arbitrage) qui sanctionnent le défaut, par l’employeur, du respect de la procédure de licenciement (C. trav., art. L. 1235-2). Tel est aussi le cas du licenciement sans cause réelle et sérieuse (C. trav., art. L. 1235-3), de la nullité du licenciement pour motif discriminatoire (C. trav., art. L. 1235-3-1), pour violation d’une liberté fondamentale (C. trav., art. L. 1235-3-1), ou encore pour non-respect de la procédure de licenciement collectif pour motif économique (C. trav., art. L. 1235-11 à L. 1235-13). Enfin, l’exonération totale concerne également l’indemnité forfaitaire de conciliation prud’homale (C. trav., art. L. 1235-1).

La qualification par le juge

L’administration fiscale prête attention aux indemnités de licenciement et, lorsqu’elles ne sont pas déclarées pour leur totalité, vérifie que celles-ci entrent – ou non – dans le champ de l’exonération invoquée par le contribuable qui les a perçues. Ainsi, il lui incombe de rechercher la juste qualification des sommes versées, de même qu’au juge lorsqu’il est saisi d’une contestation de l’administration fiscale ou du contribuable. Dans une affaire soumise à la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 7e ch., 14 févr. 2023, no 21PA03377), la question de la qualification se posait au sujet d’une indemnité transactionnelle perçue par une salariée qui avait été licenciée pour son mauvais management. L’enjeu était son exonération d’impôt sur le revenu.

L’instruction et l’appréciation des faits

Manager au sein de la société H. P., Madame F. a été licenciée le 11 juin 2015. Elle a saisi le conseil des prud’hommes le 5 août 2015. Pour mettre fin au litige les opposant, Madame F. et la société H. P. ont signé le 23 mars 2016 un protocole d’accord transactionnel prévoyant notamment que la société verserait à l’intéressée la somme nette de 60 000 euros afin de compenser l’ensemble des préjudices qu’elle estimait avoir subis du fait de la rupture de son contrat de travail. À la suite d’un contrôle sur pièces, conclu par une proposition de rectification du 15 mai 2018 notifiée selon la procédure contradictoire, Madame F., qui n’avait pas déclaré cette indemnité, estimant qu’elle avait été versée pour compenser un licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu’à ce titre elle était exonérée, a été assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de 2016, à raison de l’imposition de son indemnité transactionnelle. Elle a fait appel du jugement du 20 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette imposition, en droits et pénalités.

La cour d’appel rappelle le principe selon lequel « pour déterminer si une indemnité versée en exécution d’une transaction conclue à l’occasion de la rupture d’un contrat de travail est imposable, il appartient à l’administration et, lorsqu’il est saisi, au juge de l’impôt, de rechercher la qualification à donner aux sommes qui font l’objet de la transaction ».

Pour Madame F., ces indemnités devaient être regardées comme indemnisant un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et par conséquent, devaient être exonérées.

Le juge rappelle que ces indemnités ne peuvent être qualifiées comme telles que s’il résulte de l’instruction que la rupture des relations de travail est assimilable à un tel licenciement. « Il appartient à l’administration et, lorsqu’il est saisi, au juge de l’impôt, au vu de l’instruction, de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction, en recherchant notamment si elles ont entendu couvrir, au-delà des indemnités accordées au titre du licenciement, la réparation de préjudices distincts, afin de déterminer dans quelle proportion ces sommes sont susceptibles d’être exonérées ».

Or il résulte de l’instruction que le licenciement de Madame F. était motivé par ses méthodes managériales contestables à l’égard de plusieurs salariés et stagiaires :

· la pression négative exercée sur une salariée susceptible de mettre sa santé en danger, à travers la menace d’un licenciement, la mise en compétition permanente et la critique publique (le management de cette salariée lui ayant été retiré, par le fait qu’elle a demandé à celle-ci, en l’absence de son supérieur, de faire un point sur un client après que son management lui avait été retiré),

· des agissements répétés susceptibles de compromettre l’avenir professionnel d’une stagiaire cantonnée à des rôles de secrétariat,

· son refus de se présenter à une convocation de la direction pour s’expliquer sur ces deux sujets, alors qu’une mise à pied conservatoire lui avait été notifiée dans le même temps,

· des méthodes managériales autoritaires et inappropriées s’apparentant à du harcèlement à l’égard d’un autre stagiaire qui, en conséquence, a décliné la proposition d’embauche en contrat à durée indéterminée qui lui avait été faite à l’issue de ce stage de fin d’études,

· son attitude à l’égard d’une autre salariée ayant travaillé sous sa supervision pendant trois mois avant de demander à changer d’équipe, dénonçant la fixation d’objectifs irréalisables, l’absence de possibilité pour elle de prendre des pauses, un contrôle constant, et des horaires insoutenables.

Dans ces conditions, et au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour d’appel a considéré que, d’une part, la rupture des relations de travail de Madame F. avec la société H. P. « ne peut être assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité versée à cette occasion ne peut être regardée comme une indemnité mentionnée par l’article L. 1235-3 du Code du travail, et d’autre part, cette indemnité ne peut être regardée comme réparant le préjudice causé par le harcèlement moral qu’elle aurait subi, qui n’est pas établi. Par suite, elle ne pouvait être exonérée d’impôt sur le revenu en vertu du 1° du 1 de l’article 80 duodecies du Code général des impôts ».

 

Annabelle Pando, journaliste