La mobilisation des grandes villes en Europe pour contrer l’essor des plateformes de locations de courte durée commence à payer. La réglementation qu’elles mettent en place pour préserver leur parc locatif privé est validée par le juge communautaire. Les instances de l’Union européenne réfléchissent à une meilleure harmonisation des règles du jeu.
En Europe, les pouvoirs publics s’alarment du nombre de logements détournés du parc locatif traditionnel par une mise en location en meublés de tourisme. La grande majorité des grandes villes européennes sont touchées par ce phénomène : une augmentation massive des locations de courte durée, générée par la croissance incontrôlée d’Airbnb et des autres plateformes numériques d’intermédiation locatives. Actuellement, chaque pays membre de l’Union européenne a mis en place ses propres règles pour tenter de réguler la croissance du marché de la location à court terme. Cette fragmentation des règles nuit à leur efficacité et ne facilite pas non plus le dialogue avec les plateformes concernées. Dans une lettre adressée aux métropoles européennes, Chris Lehane, vice-président senior d’Airbnb, résumait ainsi la situation en 2020 « au cours des dernières années, les gouvernements ont mis à jour leurs règles et les plateformes telles qu’Airbnb ont développé de nouvelles façons innovantes de s’associer avec les gouvernements pour servir toutes les parties prenantes. Mais ce voyage a été long, parfois déroutant et souvent coûteux ».
UNE VOLONTÉ COMMUNAUTAIRE D’HARMONISER LES RÈGLES EN PLACE
Dans le cadre du parquet européen relatif au service numérique DSA (Digital Services Act), la Commission européenne a proposé des règles pour réguler le secteur numérique et le marché de la location à court terme. Pour les instances européennes, il convient sans doute d’harmoniser les règles du jeu entre les plateformes en ligne et les grandes villes, afin de « développer une croissance responsable, équitable et fiable des locations à court terme, dans le cadre d’un écosystème touristique équilibré et de garantir des conditions de concurrence équitables pour tous les prestataires de services d’hébergement et répondre aux nombreuses demandes des parties intéressées en faveur d’une action à l’échelle européenne dans ce domaine ». Or en la matière de nombreuses lacunes subsistent. À cet effet, la Commission européenne a lancé une consultation publique au dernier trimestre de l’année 2021, destinée à recueillir les contributions d’un large éventail de parties prenantes afin de concevoir une proposition législative visant à « améliorer le cadre des services de location de logements à court terme ». Cette consultation doit notamment permettre d’affiner l’analyse d’impact de la Commission relative à cette initiative. La proposition de texte est attendue en 2022.
UNE RÉPONSE AUX PRÉOCCUPATIONS CROISSANTES DES MÉTROPOLES EUROPÉENNES
Les pouvoirs publics dans les métropoles d’Europe s’inquiètent de l’activité des plateformes d’intermédiation locative comme Airbnb qui nuisent aux marchés immobiliers et à l’attractivité de certains quartiers de centre-ville. Et cette activité est en croissance. Au premier trimestre 2022, le géant du meublé de tourisme, Airbnb a réalisé un chiffre d’affaires record de 1, 5 milliards de dollars, en augmentation de 80 % par rapport au premier trimestre 2019. Les locations de meublés à court terme sont jugées trop rentables par rapport à la location longue durée, et accusées de contribuer à la pénurie de logements et à la forte hausse des prix locatifs dans ces villes. À terme, ces villes craignent que leurs centres-villes soient désertés par leurs habitants. Au quotidien, elles doivent faire face à un grand nombre de plaintes de riverains ou de copropriétaires ou riverains qui s’inquiètent des nuisances pour leurs quartiers et leurs immeubles : nuisance sonore, dégradations, va-et-vient incessants, etc. Ainsi, en septembre 2020, 22 villes grandes villes européennes du réseau Eurocities, ont uni leurs voix pour critiquer « un cadre légal européen daté et avantageux » pour les plateformes d’intermédiation locative. Leur souhait : « obliger les plateformes à partager leur data, indispensables pour un contrôle efficace », et obtenir qu’elles soient « responsables pour les annonces qu’elles publient ». Ces villes, parmi lesquelles Paris, Bordeaux, Florence ou encore Amsterdam ont rencontré dans la foulée la vice-présidente de la Commission européenne, Margrethe Vestager, afin d’appeler l’Europe à adopter une nouvelle approche dans sa réglementation « afin de se mettre d’abord au service de l’intérêt général », selon les mots d’Anne Hidalgo, la maire de Paris. Il s’agit de mieux réguler les plateformes numériques pour « assurer le bien-être et la liberté des citoyens », pour la maire d’Amsterdam, Femke Halsema.
LE JUGE COMMUNAUTAIRE VALIDE LA RÉGLEMENTATION BRUXELLOISE
Une telle harmonisation des règles communautaires pourrait s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui tend à valider les différentes réglementations mises en place par les États membres pour encadrer les locations de tourisme (CJUE, 27 avr. 2022, n° C-674/20). Dans le dernier arrêt en date, la CJUE vient de valider l’ordonnance bruxelloise de décembre 2016 portant sur la taxe sur les hébergements touristiques, qui prévoit que les plateformes d’intermédiation locative du type Airbnb doivent communiquer à l’administration fiscale, sur demande écrite de celle-ci, les données de l’exploitant, les coordonnées des établissements d’hébergement touristique et le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées durant l’année écoulée. À défaut, ces plateformes numériques sont passibles d’une amende administrative de 10 000 €. Après s’être s’est vu infliger neuf amendes de 10 000 €, en 2017, pour avoir refusé de donner suite aux demandes d’information de Bruxelles Fiscalité, la start-up californienne a contesté la légalité de cette ordonnance, occasionnant la transmission de questions préjudicielles au juge communautaire pour vérifier la conformité de la législation bruxelloise avec le droit de l’Union européenne. La CJUE, a confirmé la validité de ce texte, précisant que cette réglementation ne créait pas de discrimination entre les différents acteurs n’est pas discriminatoire puisqu’elle se bornait à créer une obligation pour les prestataires concernés de conserver les données relatives aux transactions d’hébergement touristique et de les transmettre, à la demande de l’administration fiscale régionale, aux fins de l’exacte perception des taxes se rapportant à la location des biens en question.
BLANC-SEING POUR LES MESURES MISES EN PLACE À PARIS
Précédemment, la CJUE avait été amenée à juger de la régularité des mesures d’encadrement des meublés de tourisme mise en place par la ville de Paris, au regard du principe communautaire de liberté de prestation de services (CJUE, 22 sept. 2020, n° C-724/18 et C-727/18). La réglementation applicable aux meublés de tourisme a été durcie afin de réguler ce marché alors en pleine expansion. La réglementation prévoit notamment la limitation à 120 jours de location maximum par an sur sa résidence principale et la notification du changement d’usage dès lors que le bien n’est pas une résidence principale, et qu’il est placé en location sur des plateformes du type Airbnb. Cette procédure est subordonnée à une mesure de compensation. Le bailleur doit être propriétaire d’un local commercial d’une surface équivalente au bien à louer et s’engager à le transformer en local d’habitation ou à défaut présenter un titre de compensation ou cession de titre de commercialité. Ces règles de compensation peuvent être renforcées et chaque m2 d’habitation doublement ou triplement compensés. À défaut, le contrevenant, encourt une amende de 50 000 € par logement loué irrégulièrement. En outre, une astreinte de 1 000 € par jour et par mètre carré est prévue jusqu’à ce que le logement soit rendu à son usage initial. L’objectif revendiqué de protéger le parc de location de résidence locative classique destiné à la résidence principale a été reconnu d’intérêt général par la CJUE, qui a jugé que la réglementation mise en place était proportionnée à cette « raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location ». Le juge communautaire a en revanche renvoyé au juge national la responsabilité d’examiner plus en détail la conformité des modèles de compensation mis en place concernée au regard de la réglementation européenne, en prenant en compte notamment les spécificités du marché locatif local inhérent à la ville concernée par le dispositif. Le 18 février 2021, la Cour de cassation a validé le dispositif mis en place à Paris (Cass. 3e civ., 18 févr. 2021, n° 17-26156), le jugeant « justifié par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionné à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante ». Elle a également précisé qu’il satisfaisait aux exigences de la directive européenne Services 2006/123/CE13, laquelle prévoit que les régimes d’autorisation fixés par les communes doivent être clairs et non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance mais encore transparents et accessibles.
UNE AMENDE RECORD
Rappelons qu’à l’été 2021, la ville de Paris a remporté une victoire de taille contre la société Airbnb devant le juge national (TJ Paris, 1er juill. 2021, n° 19-54288). La start-up californienne a été condamnée a lui verser plus de 8 millions d’euros d’amende pour avoir publié des annonces sans le numéro d’enregistrement exigé par la réglementation française (C. tour., art. L. 324-2-1). Au total 1 010 annonces étaient concernées par la procédure de référé lancée par la ville. Cette décision tient compte de la gravité du manquement en cause, de sa durée et de ses effets au regard de l’objectif d’intérêt général de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location à Paris défendu par la ville. Le numéro de déclaration d’enregistrement permet en effet à la ville de s’assurer que les loueurs de meublés de tourisme se conforment à la réglementation en vigueur et les sanctionner si ce n’est pas le cas. Il s’agit donc d’un élément essentiel du dispositif prévu par le législateur pour lutter contre la pénurie de logements, en particulier à Paris. En publiant des annonces sans numéro d’enregistrement, le juge a considéré que la société californienne neutralisait toute intervention des pouvoirs publics permettant la régulation du marché parisien des locations saisonnières.
Par Frédérique Perrotin, journaliste
En partenariat avec Actu-Juridique. En savoir plus