Mise en place il y a plus de trente ans pour soutenir les Français les plus fragiles financièrement à faire face à leurs frais de justice, l’aide juridictionnelle est de plus en plus sollicitée. Depuis six ans, davantage de justiciables y sont éligibles. Les démarches pour y recourir, quant à elles, sont simplifiées, rappelle le ministère de la Justice qui vient de publier une note sur le sujet.
Faut-il y déceler le signe d’un accès plus efficace à la justice ou la preuve d’un appauvrissement d’une partie de la population ? Si les chiffres, publiés récemment, par le ministère de la Justice sur l’aide juridictionnelle (AJ) ne répondent pas directement à cette question, ils sont en revanche sans équivoque sur la dynamique du recours à l’AJ : celle-ci est en hausse sur les quinze dernières années (+ 11 % entre 2006 et 2019) et principalement depuis 2016, année durant laquelle le plafond pour accéder à cette aide a été relevé, passant de 941 € par mois à 1 000 € par mois. En 2019, près d’1,2 millions de Français ont déposé un dossier dans le but de percevoir une aide de l’État pour financer leur procédure judiciaire. Soit 200 000 de plus, environ, que trois ans plus tôt. En 2020, ce chiffre est redescendu sous la barre du million compte tenu de la pandémie. « La crise sanitaire a eu un impact sur l’ensemble des décisions d’aides juridictionnelles, tout comme sur l’activité judiciaire de manière générale. La baisse des admissions s’observe à la fois au civil (- 15 %), au pénal (- 18 %) et en matière administrative (- 9,8 %) », rappelle le ministère dans sa note statistique. Chaque année, près de 90 % des demandes effectuées pour disposer de l’aide juridictionnelle sont acceptées.
Créée en 1991, l’AJ permet de prendre en charge, tout ou partie, des frais judiciaires d’une personne ne disposant pas de ressources suffisantes, et ce quel que soit son statut (partie civile, témoin, témoins assistés, prévenu, accusé, etc.). En 2020, l’État a ainsi dépensé près de 420 M€ pour épauler les justiciables les plus modestes dont 396 M€ (94 % du total) pour la seule rétribution des avocats. Des moyens importants qui représentent 4,5 % du budget total de la justice. Cette année, cette enveloppe devrait encore augmenter de 27 %, promet le ministère de la Justice, pour s’établir à 615 M€ budgétés dans la loi de finances initiale.
Dans le détail, l’aide juridictionnelle est employée principalement dans les affaires civiles (51 % des cas) et pénales (40 %). Les admissions devant les juridictions commerciales, bien qu’elles aient triplé depuis 15 ans, ne représentent que le restant des recours, soit moins de 10 % des cas. Néanmoins, « en matière pénale, le recours à l’aide juridictionnelle est plus fréquent qu’au civil : on compte plus d’une AJ pour deux affaires nouvelles », précise la note ministérielle, « contre un sur trois en matière civile ». Sans surprise,« un tiers des aides juridictionnelles sont accordées dans le cadre d’une commission d’office. Cette proportion est trois fois plus importante au pénal (64 %) qu’au civil (21 %) ». Les bénéficiaires sont majoritairement des hommes (60 %), âgés de 37 ans en moyenne. Les femmes ne sont majoritaires que devant les juridictions civiles.
Géographiquement, « le recours à l’aide juridictionnelle est assez fortement corrélé avec le taux de pauvreté », indique le ministère de la Justice. Et de préciser que « les taux de recours sont les plus élevés sur l’arc méditerranéen et dans le Nord/Nord-Est de la France, à l’inverse de la façade Atlantique, avec des taux inférieurs à la moyenne nationale », soit 15 aides juridictionnelles pour 1 000 habitants en 2019. Précisément, les cours d’appel de Chambéry et de Poitiers, situés dans des territoires où le taux de pauvreté est largement inférieur à la moyenne nationale, enregistrent les taux de recours à l’aide juridictionnelle les plus faibles de France. A contrario, les cours d’appel de Douai et Montpellier sont celles où les taux d’AJ sont les plus élevés. Les taux de pauvreté y sont aussi supérieurs au reste du territoire, respectivement 19 et 15 %. En Île-de-France, la cour d’appel de Versailles (78) présente l’un des taux de recours les plus bas de France (8 pour 1 000) alors que la cour d’appel de Paris se situe dans la moyenne hexagonale (15 pour 1 000).
À l’avenir, ces données pourraient continuer de croître partout sur le territoire. En effet, depuis le 1er janvier 2021, les démarches pour l’aide juridictionnelle ont été simplifiées. Son montant, possiblement octroyé, est désormais calculé sur la base du seul revenu fiscal de référence (RFR). Aussi, un nouveau système d’information de l’aide juridictionnelle (SIAJ) est déployé dans 77 juridictions. Celui-ci doit permettre « le dépôt d’une demande d’aide juridictionnelle en ligne, ainsi qu’une dématérialisation du traitement de cette demande par les bureaux d’aide juridictionnelle », détaille le ministère de la Justice.
Par Nicolas Kirilowits, journaliste