La visioconférence sera-t-elle demain un mode habituel de plaidoirie ? La question relevait de la science-fiction avant la période d’enfermement liée au Covid-19 et l’arrêt de l’activité des tribunaux civils, elle doit maintenant être prise au sérieux. En effet, la visioconférence présente des avantages certains. Mais elle n’est pas non plus sans inconvénient ni frein. On peut donc douter de sa généralisation à court terme.
On dit l’oralité menacée au civil. Les juges ne voudraient plus entendre que des plaidoiries par observations. Cela vaut aussi en procédure dite orale, dès lors que des conclusions ont été déposées. Pour certains juges, le dépôt de dossier semble même être la panacée. La raison : ils n’ont plus le temps d’écouter les avocats.
De l’autre côté de la barre, les avocats n’ont peut-être pas non plus de temps à perdre dans ces audiences où quarante-cinq dossiers sont appelés à la même heure. C’est l’assurance, pour les dizaines d’avocats présents dans la salle, de perdre, chacun, jusqu’à une demi-journée de travail, pour, parfois, cinq minutes de plaidoiries où ils sont à peine écoutés.
La visioconférence apparaît alors comme une solution. Le tribunal de commerce de Paris la propose déjà dans ses convocations, sous la formule suivante : « Si vous souhaitiez participer à l’audience en visioconférence, il convient d’adresser un mail au juge dans les 72 heures de la réception de la présente convocation en exposant les motifs légitimes de cette demande (COJ, art. L. 111-1), en indiquant votre numéro de portable. Vous voudrez bien mettre en copie de votre demande les autres parties ».
La situation peut sembler ironique : le tribunal de commerce de Paris est, précisément, un endroit où les juges demandent à recevoir les dossiers avant les audiences ; préparent celles-ci ; puis posent des questions aux avocats et laissent les parties s’exprimer lors de celles-ci. C’est donc que la visioconférence présente des avantages (1), au-delà du dysfonctionnement actuel des tribunaux judiciaires et des cours d’appel qui amène les juges à vouloir limiter, voire supprimer le temps de parole des avocats.
La visioconférence n’est cependant pas sans inconvénients (2), outre qu’elle dérange une certaine conception du métier d’avocat et menace des considérations plus bassement pécuniaires (3).
Le premier avantage de la visioconférence, c’est, bien sûr, le double gain de temps qu’elle permet, mais sans doute plus pour les avocats que pour les juges.
En effet, le premier gain de temps est sur les transports. Or, ce sont les avocats qui se déplacent à l’audience, pas les juges. Dans le cas extrême du référé à heure indiquée, plus couramment appelé d’heure à heure, le lieu de l’audience pouvait même expressément être le domicile du juge, « porte ouverte » dans la rédaction de l’article 485 du Code de procédure civile antérieure au 23 janvier 2012. Le juge est donc, par principe, la puissance invitante chez qui l’avocat se rend.
On peut cependant imaginer que la visioconférence pourrait aussi permettre aux magistrats d’économiser des temps de transport, par exemple pour permettre à des juges n’étant pas tous les jours au tribunal de tenir audience tout en restant chez eux ou à des juges « placés » faisant le tour des tribunaux d’un ressort de limiter leurs allers et venues.
Le second gain de temps est sur l’attente des avocats. La visioconférence limite les temps morts. Cas vécu : une audience de référés à Paris a lieu à 9 h 00 ; l’auteur de ces lignes arrive à 8 h 35 pour faire sortir son dossier, les affaires étant appelées non pas dans l’ordre du rôle mais dans l’ordre de sortie des dossiers ; malheureusement pour lui, 20 confrères ont eu la même idée et sont arrivés avant lui ; il passe donc finalement à 11 h 15, pour une demande d’expertise où le seul point « litigieux » est le nom de l’expert à désigner. Avec les transports, c’est ainsi près de 4 heures de perdues pour une demande qui méritait deux emails et 2 minutes d’explications devant le juge. La visioconférence aurait permis de vaquer à d’autres occupations en attendant le passage devant le juge, ce qu’il est difficile de faire dans une salle d’audience, son ordinateur portable sur les genoux.
Un autre avantage, moins bassement terre à terre, est la possibilité d’ajouter une dimension visuelle aux plaidoiries. En effet, la visioconférence permet de partager des documents à l’écran. Autre cas vécu : l’auteur de ces lignes se glisse parfois dans la peau du juge, pour des simulations de procès à l’École de formation du barreau, avec des élèves-avocats comme plaidants. Du fait du Covid (ou des grèves de transport), certaines simulations ont eu lieu en visioconférence. Des élèves-avocats en ont profité pour partager leurs principales pièces à l’écran. « Dans la vraie vie », ils auraient dû demander l’autorisation au juge de lui montrer leurs pièces, ce qui peut créer un flottement dans les plaidoiries et se conclure par un refus du juge. Ici, tout est fluide. C’est une façon maligne d’exploiter les technologies pour mettre en avant ses arguments clés sans créer de rupture dans son récit et sans risquer un refus du juge d’examiner les pièces à l’audience.
Il y a cependant, bien sûr, des inconvénients à la plaidoirie en visioconférence.
Paradoxalement, le principal est sans doute la suppression du temps mort avant l’audience et de la fenêtre temporelle après celle-ci. Car l’audience est le moment où les avocats se rencontrent physiquement et n’ont, souvent, rien d’autre à faire qu’attendre avant de passer devant le juge. En conséquence, ils discutent. De ces discussions naissent parfois des accords dans les dossiers, voire des amitiés entre confrères. C’est aussi le cas après l’audience. Même s’il s’agit alors de retourner à ses autres occupations, plus ou moins urgentes, c’est souvent le moment où, après s’être écharpés publiquement, les avocats font le point sur ce qui pourrait être une issue amiable dans le dossier qu’ils viennent de plaider. Les plaidoiries en visioconférence ne permettent pas ces échanges informels en marge de l’audience. Or, ils sont fructueux tant professionnellement que personnellement.
Autre inconvénient, la publicité des débats. On avouera que, du moins en matière civile, la foule ne se presse pas aux audiences. Mais, dans le principe, il faut préserver le caractère public de l’audience pour écarter l’accusation de justice secrète. La Cour de cassation montre la voie de ce point de vue. Elle vient d’organiser la première retransmission en direct d’une de ses audiences le 10 mars 2023. Pour cela, elle a cependant bénéficié d’une plus grande souplesse de l’article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse quant à la diffusion des audiences la concernant, par rapport aux audiences des juges du fond.
Enfin, on peut craindre un « effet PowerPoint » de la visioconférence. Des confrères pourraient profiter du partage d’écran de la visioconférence pour plaider non plus par observations mais par « bullet points ».
À côté de ces inconvénients, il y a aussi des freins. On ne parlera ici que de ceux qu’on peut prêter aux avocats.
Il y a tout d’abord l’image d’Épinal de l’avocat plaidant faisant le tour de France. Certains confrères n’ont pas choisi ce métier pour rester enfermés dans un bureau toute la journée. L’auteur de ces lignes en fait partie et n’a rien contre le tourisme judiciaire. Il a d’ailleurs récemment visité Cusset dont il ne soupçonnait pas l’existence et Bourg-en-Bresse dont il ne soupçonnait pas que cela se prononçait Bourc-en-Bresse. Il a aussi rapporté des spécialités locales de toute la France suite à des plaidoiries. Il a ainsi découvert le débat sur les meilleurs cannelés à Bordeaux (Baillardran ; la Toque cuivrée ou un troisième larron moins connu) et le fait que, à Uzès, la spécialité, ce sont les bonbons vendus dans le magasin d’usine Haribo au bord de la départementale 981.
Mais tous les dossiers méritent-ils un déplacement de parfois une journée entière, nuit sur place comprise ? Et, s’ils le méritent, le client peut-il le financer ? Il y a là matière à réflexion et à une réponse qui ne nous semble pas pouvoir être définitive. Selon les circonstances de chaque dossier, il nous semble que la visioconférence devrait pouvoir être envisagée comme alternative à un déplacement en personne.
Autre frein, sans doute plus dirimant en pratique, l’argent des substitutions. Une des solutions actuelles à l’éloignement géographique entre l’avocat et le tribunal où il doit plaider est de faire plaider un correspondant local. Mais la dématérialisation des échanges avec le juge pendant les plaidoiries risque de tarir cette source de revenu. D’autant plus que, si elle est parfois fondée sur la compétence du correspondant local et sa connaissance de sa juridiction, elle l’est aussi parfois exclusivement sur l’éloignement géographique.
Couplée à la dématérialisation des échanges avec le greffe pendant la phase de mise en état, on a là les deux ingrédients pour la suppression de la limitation géographique de la postulation prévue par la loi de 1971 sur la profession d’avocat. La Cour de cassation a déjà pu voir dans cette suppression un moyen de « simplifier et de rendre moins onéreux l’accès au service public de la justice »dans le cadre des appels prud’homaux. Mais il est douteux que tous les barreaux français, voire simplement une majorité d’entre eux, soient du même avis et accueillent favorablement une extension de cette solution à l’ensemble du contentieux en première instance et en appel.
Si l’auteur de ces lignes pense donc que la visioconférence représente bien l’avenir des plaidoiries (et, aussi, de la mise en état), il doute, hélas, d’assister à sa promotion.
Par Charles Simon, avocat au barreau de Paris